C'est l'histoire d'un jeune garçon. Il a 9 ou 10 ans. Il se prénomme Ahmed, Tarhar, Youssef, Hassan. Cela importe peu. Tous les matins, il se lève et s'habille. Cet exercice peut lui prendre une demi-heure. Sa tante prépare le petit déjeuner. Sa mère, il ne la connait pas. Elle est morte lors de sa naissance; les complications dues à l'accouchement ont provoqué une hémorragie interne. Les médecins ont sauvé l'enfant, mais la mère succomba. Le père, quant à lui, s'est fait tuer lors d'une transaction de drogue qui s'est soldé par une fusillade entre deux bandes rivales. Le jeune garçon prend un morceau de pain, le trempe dans le bol de miel et difficilement, le porte à sa bouche. Il met plus d'une heure pour avaler son repas. Il a aussi renversé son verre de lait deux fois. Il se dirige vers la pièce ou 6 matelas sont disposés sur le sol avec quelques couvertures de laines. Ses cousins et cousines sont tous déjà partis. Certains travaillent et d'autres fréquentent l'école. Il saisit un sac de plastique noir. Il se dirige vers la sortie.

Dans les ruelles de Marrakesh, Ahmed, Tarhar, Youssef, Hassan, peu importe, avance au rythme d'une tortue. Tous les passants, touristes comme citoyens, le dépassent sans faire attention. Ou un peu. Sur la rue Bâb Âgnaou, le jeune garçon marche avec son sac de plastique noir dans la main gauche. De sa main droite, il en sort un petit paquet de papier-mouchoirs. Il presse le pas, nerveusement. Ses gestes, saccadés, n'ont pas la motricité habituelle de tout être humain. Il s'arrête devant un jeune couple qui déjeune, sûrement des Français, présente le petit paquet de papier-mouchoir tout en émettant un son étrange. Sa voix n'est pas celle d'un enfant; indiscernable, sans articulation, inaudible, elle ressemble davantage à un long gloussement involontaire, une plainte de loup mélangée au chant du merle. Le couple, harassé, ne le regarde pas, la jeune femme au yeux bleus et cheveux châtains fait un geste de la main signifiant la négation face à la proposition du jeune garçon. Le message a passé. Il poursuit son chemin. Assis tout près de la table du jeune couple, un voyageur (un Allemand, un Suédois, un Belge, peu importe) regarde la scène, médusé et stupéfait. Il focalise son attention sur ce jeune garçon infirme qui propose ses paquets de papiers-mouchoirs aux passants. Ses yeux deviennent humides. Il aurait bien besoin d'un paquet de papier-mouchoirs.

Le soir venu, ce même voyageur mange un repas sur la place centrale Jeema Elf Na. Un couscous merguez avec, comme entrée, une salade de poivron. Une petite fille - elle a peut-être 8 ans - lui touche le bras. Elle a un paquet de papier-mouchoirs dans les mains. Le voyageur a attrapé un rhume. Il fouille dans son porte-monnaie, en ressort les quelques dirhams nécessaires. Il sourit à la petite fille qui dit "Merci" et qui s'en retourne, heureuse de sa vente. Le voyageur devient pensif. Il se demande s'il y a une mafia du papier-mouchoir ici, à Marrakesh, qui utilise de jeunes enfants pour s'en mettre plein les poches. Une grande peine soudain s'empare du voyageur. Il ne comprend pas. Jamais un enfant ne devrait essuyer les larmes d'un adulte. Cette pensée bloque sa gorge. Il ne peut plus avaler son repas. Il retourne à sa chambre d'hôtel, chargé de rage et d'impuissance face à cette aliénation.

1 Comment:

  1. Elisa N Viajes said...
    Salut Francois,
    Je viens d´apprendre sur ton blog. C´est très intéressant, plein d´information. L´Afrique est si belle.
    Je suis heureuse d´avoir trouvé ton blog.
    A plus.
    Elisa, Argentine
    Mon blog perso: www.elisaorigami.blogspot.com

Post a Comment