LES PREMIÈRES MAINS

La nuit dernière, durant le vol qui me conduisait à Bamako, j’ai rencontré un vieil homme timide qui ne parlait pas beaucoup. Il portait de grandes lunettes. Sa peau noire contrastait avec ses yeux couleur de bleu et de gris. Durant le repas offert à bord du Boeing, il mangea tout d’abord l’entrée composée d’une galette de légumes – il avait commandé un repas musulman – puis broncha devant le plat principal qui était recouvert d’un papier d’aluminium pour en préserver la chaleur. Je lui ai demandé si tout allait bien et il me répondit que « oui, tout va bien » avec une réserve que je ne connaissais pas. Il regarda son plateau, leva la tête et jeta son regard à travers le hublot dans lequel miroitait un horizon de nuages.

Plusieurs minutes plus tard, je reçus mon repas – un repas typiquement français avec des nouilles aux fromages et aux fruits de mer avec baquette et camembert et un vin rouge du pays d’Oc – j’enlevai la membrane d’aluminium qui le recouvrait. L’homme m’observa attentivement alors que je déballais le contenant de plastique puis se pencha sur son plat et imita mes gestes. Nous mangeâmes ensemble, sans dire un mot. Je fixais davantage le petit écran qui diffusait un film de pirates qui ne se déroule pourtant pas dans les Caraïbes.

J’ignore si l’homme savait comment enlever l’emballage de son repas ou s’il m’avait attendu pour manger, si ses yeux bleus si tristes étaient autrefois tombés amoureux d’une femme qu’il a perdue, s’il a des enfants qui se sont exilés dans un pays qu’il n’a jamais visité, s’il a connu la guerre ou la famine, mais je sais que j’ai été ému devant lui. À notre arrivée, les agents de bord nous ont remis des cartes de déclaration. L’homme m’a alors demandé de remplir sa fiche car il m’a dit qu’il écrivait seulement l’arabe. Je remplis sa fiche, remarquai que l’homme était né en 1944 mais que la date exacte était inconnue, des X faisant office de date officielle. Je pris sa valise dans le compartiment à bagages, puis sortis de l’avion en le saluant.

L’air était humide, un orage s’était abattu sur la ville quelques minutes auparavant; ça sentait l’Afrique, la végétation dense, le kérosène, la fatigue et l’agitation. Je me suis dirigé jusqu’à l’entrée de l’aéroport, ai franchi les formalités douanières sans trop de problème. J’ai attendu longuement mon sac à dos, espérant que celui-ci soit là, à travers tous les gens qui se battaient pour accéder à leurs bagages; puis je l’ai reconnu, mon monstre d’expédition rouge et noir, ensaché dans une énorme pellicule de plastique et qui se promenait là, sans que je puisse le saisir. J’ai attendu encore et encore puis j’ai pensé à Benoît qui, la journée auparavant, avait dû vivre la même situation. Et j’ai ris un peu, tout seul, comme un névrosé en plein délire et je l’ai revu, mon sac, là, qui glissait, paresseux, sur le carrousel. J’ai joué du coude, des jambes et du torse et me suis imposé entre deux Maliens qui m’ont dit « Oh attention! » mais je n’y prêtai pas attention, je mis la main sur mon sac, le souleva avec force et le ramenai à moi, heureux du trésor que je venais de déterrer.

À l’extérieur quatre personnes m’attendaient; j’étais fou de joie. On m’escorta jusqu’à mon hôtel où j’eus la surprise de constater que j’étais dans une suite plus grande qu’un appartement : une énorme salle de séjour, une salle de bain avec un bain dans lequel je peux allonger tout mon corps et une chambre avec air climatisé. Je vais demeurer ici cette semaine en attendant de prendre possession de mon futur logis.

Aujourd’hui, j’ai visité les bureaux du CECI et je ferai bientôt une visite de la ville. J’ai serré beaucoup de mains et rencontré plusieurs personnes dont le directeur Al Assane. J’ai mangé mon premier repas malien – c’était plutôt du riz cantonais mais bon, ça revient au même pour l’instant – avec les mains; ça me rappelle le fufu de Patrice avec la sauce épicée. Ça goûte l’inconnu. C’est ce qu’il y a de meilleur sur cette terre.

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