CHANTS AFRICAINS

6 fevrier 2007, alors que les chiffres du temps ne valent plus rien...

Aujourd’hui, Joburg fut ensoleillé plus qu’hier; la pluie s’est abattu en soirée, lavant du coup nos corps; ce fut une journée forte comme un charpentier, constructive. Levé, rencontre au sommet avec Mina (la responsable de Khanya College, l’organisme avec lequel je fais mon projet. Présentation,des participants, blabla habituel, blabla encore, et enfin la partie croustillante: nos mandats, pour moi et les 4 autres. Et à tour de rôle, Évelyne, Mathieu, Shelina et Véronique recoivent des explications sur leur stage respectif, les endroits où ils vont habiter, avec qui, quoi comment où et encore un qui, un qu’est-ce bien placé, puis enfin puis plus rien. Mina se tourne vers moi : "Ok, you, you stay in Joburg but...". Dans ma tête – et c’était sûrement vrai car les autres m’ont dit : tu es ben chanceux – j’ai entendu les mots "you need to will be independant; you can travel where you want; cinema profil, can make documentary, you’re freedom to do what you want; it’s your project". Vous vous imaginez ma reaction : j’ai la langue qui pend d’un côte, la bouche grande ouverte, j’ai presque les larmes aux yeux, j’ai des spasmes, le front coulant (à cause de la chaleur, s’entend). Ma caméra ne dormira pas pendant 8 semaines que je me dis... Je jubile, et me dis merde pourquoi j’ai pas ma PD150, mais bon faut penser espace dans le sac et sécurité dans la vie. On nous apporte de jolis chandails qu’on nous offre en cadeau, ils sont vraiment beaux. On rit. Tout le monde est content. Fin de la reunion.
Étape 2 de la journee. Visite des Township d’Orange Farm, de Sebuken et Bophelong. Spectacle incroyable s’il en est un, le visage des townships reflète la pauvrete, la misère, l’exclusion et l’incompréhension.

Township - definition : emplacement ou terrain à grandeur variable, pouvant habriter des millions de personnes, sur lequel des habitations modestes furent construites pour éloigner les noirs des grands centres urbains. Cette main-d’œuvre servit (et sert encore, mais le joug qui sevit actuellement n’est plus celui de l’apartheid, mais celui d’un nouvel état capitalisme et d’un gouvernement quelque peu corrompu… ça se paie la liberté et une nouvelle constitution…) essentiellement à extirper les réserves d’or du sol sud-africain. Je pourrais en rajouter, mais c’est tellement ahurissant que je préfère me taire…

C’est un paysage creux comme la main, parsemé d’herbes hautes et de terre rougis par le soleil, Des habitations délabrées se regroupent au centre comme des enfants; on dirait une ville construite à même la souffrance, une ville de nécessité; mais ce n’est pas une ville, car ce quartier quelconque ne possède pas les infrastructures qui composent une cité. Ici, le multiculturalisme n’existe pas; malgre les 12% de blancs, malgre les métis, malgré les Boers, malgré et malgré… ici c’est l’homme noir qui se terre, qui se réfugie et qui met sa dignité sur le bûcher. Nous sommes à Sebuken, nous sommes blancs comme neige, nous débarquons là, ici, sur ce "ce n’est pas chez nous" et je sens le malaise traversé mes jambes. On nous présente, on nous explique le projet coopératif qui prend forme dans la communauté : des femmes (il y a aussi quelques hommes, dont un trisomique, des femmes très âgées et des bébés couchés dans des serviettes; je m’amuse également avec un bambin qui me lance un ballon vert) brodent, fabriquent des colliers et autres trucs artisanaux pour la vente. Et c’est ici que le malaise arrive, lorsque je vois Jonatan Véronique et Shelina se munir de leur appareil-photo et filmer les artisans, comme des bêtes de cirque. Et je me dis : est-ce que j’aimerais qu’un inconnu me prenne en photo. Poser la question c’est y repondre. Puis, j’assiste à un moment magique.
Je vois des femmes noirs s’assembler et former un cercle. Certaines chantent comme des louves, crient et tapent des mains et des pieds. Je crie et tape moi aussi, et mon corps bouge, comme un ordre commendé par une force invisible. Ces femmes, aux hanches et aux seins prohéminents, jouent avec leur silhouette; ces corps expriment la vitalité, la vie, la fertilité; c’est d’une beauté inouïe, avec leurs grands tissus colorés de jaunes, d’orange, de brun, de blanc et de pourpre. Parfois, durant le chant, elles s’agenouillent et agitent les bras en tout sens. L’une d’elle, avec force, pousse un long gloussement aigu, ajoutant a la spécificité du rythme que j’entends.

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