PASTIS ET FAITS DIVERS

Ce soir, le pastis est doux et limpide; je regarde le ciel de Jozy et constate que je quitterai bientôt ce paradis infernal, je laisserai derrière moi un monde qui me ressemble, tiraillé par les dichotomies internes et passionné par les échanges culturels.

J’ai fêté pour une troisième année consécutive mon anniversaire en terre étrangère. La soirée, arrosée de rires et de liqueurs, m’a embrassé d’ivresse; le début de ma 28e année fut un prologue de l’avenir. Garant de mon passé, ma vie que je saisis maintenant attrape toute l’essence de ce que je souhaite pour le futur.

J’ai terminé mon documentaire. Le montage fut facile mais long, les images s’agrippant après moi comme des tiques devant le choix difficile des scènes à supprimer.
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J’ai assisté à un congrès national sur les politiques de l’ANC. Des milliers de personnes de Sebukeng – un township tout près de Bophelong - ont assisté à ce rassemblement où la pauvreté côtoie la corruption d’un gouvernement idéaliste. J’ai capté quelques images, mais le tout reste assez sommaire et inintéressant, sinon les réactions très fortes des différents intervenants qui questionnent les députés.

Les manifestations se poursuivent à la Dursöts Industries. Ce soir, des dizaines de femmes dorment à la belle étoile devant les portes de la manufacture pour dénoncer les abus et les piètres conditions de travail des travailleuses. Ce soir, mes pensées sont avec ces femmes qui se battent pour une bouchée de pain, un peu de dignité et de reconnaissance. Je prie en silence pour elle. Cette prière, elle n’est pas destinée à un dieu quelconque, mais à la volonté humaine, à la justice comme droit, à cette valeur abstraite que l’on nomme le respect.

Il y a quelque temps déjà, GIWUSA a dénoncé aux autorités les sévices auxquels étaient soumis les travailleuses et travailleurs de la Dursöts. Andile m’a raconté que le policier avec lequel il a conversé au téléphone lui a répondu qu’il ne pouvait pas intervenir car un ordre venant « d’en haut » l’empêchait, lui et ses collègues, de procéder à quelconque action. Andile prévint d’autres autorités de la situation. Mais il fut frustré par le même son de cloche au Ministère de la Santé. Le même son de cloche au Ministère de la justice. Le même son, partout, qui résonne comme une alarme sourde. La corruption, à grands coups de pots de vin.

Les sévices qu’Ibrahim Ishmael Dursöt et ses trois fils administrent aux travailleurs sont multiples : lésions corporelles, coups à diverses parties du corps dont les parties génitales, électrochocs au cerveau et j’en passe. Plus j’amoncelle les informations et plus ma rage augmente. Ces événements ont tous été rapportés dans différents ministères. Sans aucun effet. Je demande : comment ne pas se révolter devant une telle aliénation, une telle immoralité?
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En fin de semaine, je serai à Soweto, le plus grand township du monde. Plus de deux millions de personnes s’y entassent. Evelyne m’a proposé de réaliser quelques entrevues avec des personnes qui désirent partager leur quotidien, leur souffrance. Dans ce pays, contrairement à ce que j’ai cru au départ, la caméra est un objet de fascination et tous sont heureux d’apparaître devant l’objectif. Tous veulent raconter leur histoire.

Je pars la semaine prochaine pour Cape Town avec Andile. Je traverserai tout le pays en voiture, pour le plaisir de mes yeux. Détails, je vous les livrerai à mon retour ici, en terre joburgienne. C’est promis.

L’intensité et le temps me presse; je ne suis pas en reste : mon désir de revenir dans la contrée sud-africaine s’est installé juste là, au creux du ventre. Ce que j’ai accompli est insuffisant. Je dois faire davantage, je dois tant, je dois jusqu’à ce que mes tripes n’en puissent plus, jusqu’à ce que j’obtienne la satisfaction du devoir accompli.

J’ai quand même beaucoup travaillé ici. Ai produit blogs, cartes d’affaires, documentaire. En mois de deux mois. Plus de besognes que je ne m’attendais au départ. J’ai pourtant plus d’énergie que lorsque je suis arrivé.
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J’aimerais profiter de cette tribune pour remercier tous ceux qui m’ont écrit pour mon anniversaire, tous ceux qui m’ont dit ou écrit les phrases suivantes : j’ai pensé à toi; fais attention à toi; je suis fier de toi; bravo François bravo; je regarde ton blog tous les jours; je t’aime ». Oui, je cohabite avec le cliché. Mais ces simples paroles, plus petites que des mains d’enfants, vous touchent davantage dans la distance. Elles deviennent des nourritures de conscience.

Au fait, je reviens bientôt. Et je serai printemps.

Le pastis est une liqueur solaire.

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