LA LATENCE

Il ne se passe rien. Rien qui vaille la peine d’être écrit. Depuis maintenant plus de 60 jours, Katibougou et l’Institut sont paralysés par la grève des professeurs. Contrairement à l’Afrique du sud, cette grève se déroule dans le calme et un certain laxisme, sans manifestation, sans cris, avec une colère sourde au creux de la conscience; depuis 5 ans déjà les professeurs sont sans convention collective, les augmentations salariales impayées, des sommes importantes oubliées, des familles lésées.

Mon mandat est figé par la glace de l’ineptie. Mme Mercy me dit pourtant que j’avance, que je suis productif. Pourtant, plus j’avance et plus je recule. Ça ressemble à l’aéroport d’Amsterdam, alors que j’essayais d’avancer comme un gamin sur un tapis roulant. Il y avait des gens devant moi qui voulaient passer et qui semblaient médusés et frustrés de ma petite folie. Et moi je riais, disais pardon avec mon accent bien modelé, et j’essayais de me faufiler tant bien que mal à travers les gens jusqu’à ce qu’une gamine me regarde en rigolant. Elle voulait m’imiter, je le voyais. Elle voulait s’amuser. Ce jour-là, ma journée a été bien remplie.

J’ai décidé de faire des portraits. Des portraits de gens que j’ai rencontrés et qui font des métiers fascinants. Mercredi je suivrai Ousman durant la journée. C’est mon mécano. L’homme-moto qui boite. Sa gentillesse n’a d’égal que son talent à reconnaître les pépins sur une machine à deux roues. Mercredi, caméra à la main, je commence à m’amuser. Il y a aussi les ramasseurs de gravier sur le Niger, les vendeurs, les gamins, les aveugles et les femmes entourées d’enfants; je ne manque pas de sujets. À défaut d’obtenir des entrevues, à défaut de rencontres, j’aurai des protraits.

Les trois dernières fins de semaine, j’ai reçu des visiteurs. D’abord trois femmes du CECI. Ensuite Yves, Pascale et Clotilde. Et dernièrement Al Assane avec sa copine. Chacune de ces visites m’a épuisé. D’abord une rechute, puis un malaise et maintenant la grippe. Mon corps a considérablement maigri, je suis affaibli même si je mange davantage, et puis j’ai tenté de retrouver la forme avec quelques exercices mais finalement j’ai tout laissé tomber; je crois que cette perte de poids est la cause dans mon dérèglement. Le docteur soupçonne une mononucléose et même si mes tests furent négatifs, je devrai éventuellement songer à les refaire afin d’avoir un deuxième résultat.

Rien est quelque chose. Je dis rien mais c’est tout. Il y a de la frustration. Oui, j’ai beaucoup de frustrations; elles provoquent des tumultes, de l’insomnie. Depuis Markala.

Noël arrive. Benoît me propose Mopti, Tombouctou. Rien de couler dans le béton. Je suis plutôt de marbre. Et puis zut, je vais parler de lui un peu. Je lui dois bien. Je suis jaloux de lui. Jaloux de sa forme, jaloux de sa résistance, jaloux du fait qu’il se goinfre dans n’importe quelle famille, qu’il boit n’importe quelles eaux et qu’il n’est pas malade, jaloux de le voir en mouvement alors que je suis plongé dans un immobilisme involontaire, jaloux de sa chance mais heureux de le savoir ainsi. Est-ce vraiment une jalousie? De l’envie. Tombouctou Benoît? Si le corps me le permet. Je ne voudrais pas être un fardeau.

Désolé, le message est moins enjoué. Il ne peut pas pleuvoir tout le temps. Ici, il ne pleut presque jamais.

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