LA PATIENCE SILENCIEUSE

Katibougou se couche dans son terrier d’étoiles et tandis qu’une masse fait rage dans ma demeure et que l’électricité demeure absente, je scrute à la chandelle les mots écrits par Ahmadou Kourouma. À travers le chant des grillons, des oiseaux multicolores, dans les plaintes des ânes fatigués, je tente de trouver le sommeil. Le vent se lève, souffle le sable à travers mes fenêtres quadrillées de moustiquaires. Une couche épaisse de poussière atterrie sur le plancher et les meubles. Je m’endors sur un matelas trop mou; mon corps s’enfonce dans la mousse et courbaturé, je tombe de fatigue, souffle la bougie, mi-inerte et mi-conscient.

Le matin, paradisiaque, illumine une heure magique où le soleil n’en finit plus d’éblouir. Je me réveille, transi, dépossédé de mes rêves, et je me remémore la nuit. Dans l’oubli, je pense à elle, à elle qui loin, me pense, à elle qui existe dans un tourment de songes. Et je marche, je boîte, alourdi par une blessure, et j’ouvre la porte et respire l’air du réveil.

Dernièrement, des gens se sont rassemblés autour de moi. Autour de mon rapport. Et j’ai compris. J’ai compris l’étrangeté. L’étrangeté de l’ambiguïté. Et j’ai décidé de perdurer, de persister.

Je voudrais éclater en sanglot, éclater d’amertume. Je voudrais exploser comme une oraison de feu. Mais je suis au Mali, là où l’existence se déconnecte du canevas dans lequel normalement je cours, je quantifie. Ma logique même est remise en question, mon système de valeur totalement remanié. Je rationalise l’impossible, deviens abstrait.

Pouvez-vous voir ce que je vois? Pouvez-vous comprendre ce que je vis? Pouvez-vous élucider le mystère de l’acculturation? Depuis 5 mois maintenant je suis ici et je commence à comprendre. Vous savez ce que les gens disent de moi? Que je suis hyper-intégré, que je suis connu de tous et chacun, que je suis un bourreau de travail, que j’accomplis un boulot extraordinaire. C’est ce qui se dégage de ma dernière réunion. Je crois que je n’ai pas encore le rythme du travail ouest-africain.

Je suis ivre. Ivre de la vitesse lorsque je roule en bécane, ivre des pastèques, ivre de solitude. Malgré le constat positif de ma présence, je perturbe l’incommensurable, le déstabilise. En moi naît la singularité de vivre, la compréhension de l’autre, de ce que je ne suis pas et de ce que l’autre est.

Et enfin, comme le cordoua africain, je vous laisse sur ces proverbes :

Si tu entends le bruit des grillons dans ton sommeil, le réveil est proche.
À trop vouloir l’accomplissement, on finit par perdre le but premier.
L’âne n’est pas bête car il vit sa vie d’âne ; l’homme, quant à lui, l’est.

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